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« Pendant des années, j’ai pensé que Titeuf allait s’arrêter »

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À fond le slip! C’est le titre du quinzième album des aventures de Titeuf, dont la sortie coïncide avec la date de son 25ème anniversaire. Dans A fond le slip!, Zep, qui s’est toujours refusé à intégrer dans l’univers de Titeuf ordinateurs et téléphones portables, fait entrer son personnage culte dans la modernité. Migrants, nucléaire, dangers des réseaux sociaux…

Pour son 15e album, Titeuf affronte le 21e siècle! Zep y évoque également en détail la menace terroriste, notamment à travers une planche hilarante où l’énergumène à mèche blonde perd son cartable dans une opération Vigipirate. De passage à Paris, Zep a accepté de répondre aux questions de BFMTV.com.

Il est souvent question de “slip” dans l’univers de Titeuf. Étonnamment, À fond le slip! est seulement le deuxième album de la série à utiliser le mot “slip” dans son titre.

Oui, il n’y en a que deux, mais c’est déjà pas mal, cela dit (rires). Comme « zizi », « slip » est un mot transgressif. Il évoque quelque chose de banal, de convenable. Un enfant peut dire « slip », mais pas « bite ». Le mot « slip » englobe un monde un peu mystérieux. Ajouter « slip » à une insulte la rend tout de suite un peu plus dégueulasse. Il apporte une touche sexuelle, transgressive. C’est comme lorsque que Titeuf dit « zizi sexuel »: ça veut dire que le zizi peut servir à autre chose qu’à faire pipi. En utilisant ces mots, Titeuf essaye de se projeter dans ce qu’il va devenir quand il sera grand. Malheureusement pour lui, il ne devient jamais grand.

Copyright Zep / Glénat 2017

Après la découverte de la puberté et de l’adolescence, Titeuf découvre le monde réel: l’IVG, le terrorisme… Dans l’album, ses parents essayent de le préserver du monde extérieur. Vous non. Vous ne cessez de le confronter au réel. Pourquoi?

Quand j’ai commencé à dessiner Titeuf, je trouvais que les BD qui mettaient en scène des enfants et parlaient de l’enfance n’étaient pas justes. J’avais l’impression qu’elles considéraient que les enfants vivaient dans un monde à part. C’était des adultes qui faisaient des albums pour leurs enfants. Ils avaient envie de montrer un monde dont ils avaient retiré tout ce qui était dangereux et inquiétant. Effectivement, on a toujours envie de préserver nos enfants. Quand j’ai commencé Titeuf, je ne l’ai pas fait pour mes enfants. Je n’en avais pas. Je n’avais pas de raisons de me préserver de quoi que ce soit. Il me semblait au contraire que dans l’enfance, il y a un urgent besoin de rire des choses qui nous inquiètent.

À fond le slip! a-t-il été influencé par la planche de septembre 2015 où vous aviez imaginé pour Le Monde Titeuf dans la peau d’un migrant?

De manière générale, le blog que j’ai fait sur Le Monde [What a wonderful world, NDLR] a influencé un petit peu cet album, parce qu’il y a un peu plus d’actualités que d’habitude. Cette planche du Monde est vraiment à part. Je n’ai pas voulu la mettre dans l’album, parce qu’elle montre une réalité parallèle, comme si Titeuf vivait dans un pays en guerre. Ce qui n’est pas le cas.

Zep/What a Wonderful World/Lemonde.fr

Dans l’album, vous évoquez à plusieurs reprises le terrorisme et le djihadisme.

J’avais déjà abordé ces thèmes dans mon blog. Cela m’intéressait de le faire cette fois avec le point de vue de Titeuf, d’un enfant. Quelqu’un me disait hier qu’il y avait des sujets graves et des sujets légers. Je pense qu’à l’âge de Titeuf, il n’y a pas de sujets graves ou légers. Les enfants parlent avec le même intérêt d’un attentat et des spaghettis qu’il y aura à la cantine. Reprendre ces événements par le biais de l’enfance, c’est aussi une manière d’accepter que l’on ne comprend pas tout. Les adultes font souvent comme s’ils avaient tout compris et qu’ils pouvaient tout expliquer. On sait bien que ce n’est pas vrai, sinon il n’y aurait pas ce genre de dysfonctionnement.

Vous faites partie de ces dessinateurs, comme Joann Sfar, que l’on interroge sur des sujets autres que la bande dessinée, comme les nouvelles technologies ou le terrorisme. Qu’en pensez-vous?

J’essaye de ne pas trop y penser. Quand je sors un livre, on me pose plein de questions sur les thèmes qui y sont abordés. Forcément, pour écrire sur ces sujets, j’y ai un peu réfléchi, mais ce que j’ai dit de plus abouti sur la question est dans l’album. Je ne vais pas dire quelque chose de plus intéressant ailleurs. Idéalement, on aimerait mieux interviewer Titeuf. Comme on ne peut pas (rires), on se retrouve un peu à être les porte-paroles de nos personnages. On est censé en savoir un peu plus qu’eux, mais ce n’est pas le cas.

Vous semblez prendre de plus en plus de plaisir à dessiner les décors et les paysages.

J’ai appris à dessiner les décors avec Titeuf. Quand on commence la BD, on doit savoir faire tellement de choses qu’assez naturellement on met de côté ce qui n’est pas d’une première importance. Quand on ne sait pas dessiner des décors ou des voitures, le réflexe est alors de s’inspirer de BD que l’on aime bien. Petit à petit, j’ai trouvé que cela créait un décalage entre le dessin des personnages et celui des décors, qui était toujours un peu à la traîne. J’ai commencé, au début de Titeuf, à remplir des carnets de croquis de dessins d’après nature. J’y ai pris goût. Aujourd’hui, je ne peux pas passer une semaine sans aller dessiner quelque chose dehors. J’ai besoin de nourrir mon dessin avec le vrai monde. Je n’ai plus envie de dessiner un réverbère que j’aurais vu chez Franquin [le créateur de Gaston Lagaffe, NDLR], même si c’est superbe. J’ai besoin qu’il vienne de mon œil et de ma main.

En 2015, vous expliquiez au Figaro: « Il y a de fortes chances pour que Titeuf passe par d’autres étapes que l’enfance et qu’il soit un jour dans une maison de retraite! Ça m’intéresserait de savoir ce qu’il donnerait en petit vieux, en père de famille ». Vous le pensez toujours?

Je le pense toujours. Pendant des années, j’ai pensé que Titeuf allait s’arrêter, que ma capacité à raconter des histoires comme si j’étais un petit garçon allait disparaître. Je n’ai rien prémédité. Les idées me sont venues d’un coup – ce qui ne m’était pas arrivé sur mes autres projets. J’ai eu peur que ça disparaisse vite. Les premières années de Titeuf, cette idée m’obsédait. Entre le premier et le deuxième album, il s’est écoulé six mois. J’ai dessiné les deux dans la foulée et j’ai harcelé mon éditeur pour que l’on fasse tout de suite le troisième. J’en avais parlé avec Roba [le créateur de Boule et Bill, NDLR] qui m’avait dit de ne pas m’inquiéter. Aujourd’hui, je suis moins inquiet.

Vous pourriez arrêter complètement Titeuf?

Si je ne me sentais plus capable de le faire, oui. Je ne vais pas relire les anciens albums pour voir comment je fais un gag de Titeuf. Soit ça vient, soit c’est que c’est fini. J’ai passé la moitié de ma vie avec Titeuf. J’ai beaucoup de mal à imaginer qu’un jour je vais me lever en me disant que je vais arrêter. Ce serait fou. Ce serait comme Mick Jagger qui arrête les Rolling Stones (rires). J’ai passé 25 ans avec Titeuf. Je serais orphelin sans lui. Je pense que je vais toujours continuer Titeuf. Arrivé à un certain âge, j’aurai sans doute raconté tout ce que je voulais raconter sur l’enfance. A ce moment-là, il pourrait être rigolo, comme Titeuf existe et que ses lecteurs le connaissent, de l’amener ailleurs et de l’imaginer en petit vieux, en père de famille, en travailleur, en étudiant…

Titeuf disparaîtra avec vous? Vous refusez qu’un autre auteur reprenne la série?

Je n’aime pas cette idée. C’est bizarre. Titeuf, c’est moi. On trouverait sans problème des gens pour dessiner ou écrire des histoires de Titeuf, mais on resterait dans le domaine de l’imitation. Les bandes dessinées que j’ai aimées sont portées par un auteur, pas par quelqu’un qui imite le style d’un autre.

Quels sont vos projets?

Je suis en train de faire un livre pour Rue de Sèvres [où Zep a déjà publié Une histoire d’hommes et Un étrange et beau bruit, NDLR]. C’est une histoire dans mon style plus réaliste, un thriller autour de la botanique. Il sortira au printemps prochain. Il y aura aussi une exposition Titeuf pour les 25 ans l’année prochaine.

À fond le slip!, Titeuf, tome 15, Glénat, 48 pages, 10,50 euros.

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